Bonnes feuilles

IX. Les wobblies contre les « pilotes du ciel » — Chapitre 1

Joe Hill, l’IWW et la religion

Joe Hill, poète IWW, incarne aussi l’athée IWW. Tout ce qui nous reste de lui — chansons, poèmes, articles et lettres — ne contient pas une seule phrase ni même le moindre mot laissant entrevoir une quelconque bienveillance pour la religion. Comme le dit son ami Alexander MacKay, « Joe détestait vraiment et méprisait tout ce qui sentait la charité et le salut ». Pour Hill, les Églises et leurs dogmes étaient au mieux de bonnes blagues, au pire des poisons mortels d’oppression sociale, à exposer à l’humour révolutionnaire le plus acide.

Hill n’était en aucun cas, loin de là, le premier athée IWW. Au temps où Hill prit sa carte rouge, vers 1910, l’incroyance était déjà une des plus vieilles traditions du syndicat [1]. En fait, l’antipathie IWW envers les religions instituées précède son existence en tant que syndicat. Il faut souligner que les organisateurs du congrès fondateur de juin 1905 négligèrent d’inviter un curé, un pasteur ou un rabbin à prononcer une bénédiction d’ouverture. En ignorant ce détail cérémoniel, alors naturel à beaucoup de syndicats AFL, l’IWW faisait clairement comprendre que son radicalisme anticonformiste ne se limitait pas à l’économie et à la politique, mais s’étendait aussi au monde spirituel.

En effet, l’absence de tout religieux au congrès fondateur n’était pas une simple omission. Le rôle essentiel joué dans les débats du congrès par le prêtre défroqué Thomas J. Hagerty — que beaucoup de ses amis continuaient d’appeler ironiquement « mon père » — ne laisse planer aucun doute à cet égard. Suspendu de ses « prérogatives religieuses » par l’archevêque de Santa Fe en 1902, Hagerty collabora à un article ridiculisant le « socialisme chrétien » dans l’International Socialist Review en 1903 et rompit définitivement avec l’Église l’année suivante [Robert E. Doherty, Thomas J. Hagerty, the Church & Socialism, 1962]. Il se fit connaître entre-temps dans le mouvement ouvrier par son programme révolutionnaire et antiparlementaire sans concessions, qu’il développa dans le journal de l’American Railway Union, le Voice of Labor, et d’autres revues influentes. Il était l’un des six radicaux qui se rencontrèrent à Chicago en novembre 1904 pour envisager la création d’une nouvelle organisation ouvrière, sans discriminations et révolutionnaire, et il figurait parmi la trentaine de participants à la réunion suivante, qui eut lieu en janvier 1905 dans la même ville, pour battre le rappel du « congrès du syndicat industriel » de juin, qui donnerait naissance aux Industrial Workers of the World. En tant que théoricien principal du syndicalisme industriel révolutionnaire, coauteur du Manifeste du syndicat industriel, rédacteur de la fameuse carte du syndicat industriel (que Sam Gompers surnomma la « Roue de la fortune du père Hagerty ») et auteur principal du Préambule IWW, Hagerty eut une influence incomparable sur l’IWW.

Comme Hagerty, les autres fondateurs de l’IWW étaient des révolutionnaires ouvriers expérimentés et sensés. Si pas un d’entre eux ne pouvait se targuer de connaître aussi bien que l’ancien prêtre la corruption et les préjugés antiouvriers de l’establishment religieux américain, aucun des délégués au congrès ne se faisait beaucoup d’illusions sur l’appui que pourrait apporter le clergé au nouveau syndicat. Les fondateurs IWW savaient que les Églises des États-Unis avaient massivement soutenu l’esclavage, applaudi à l’exécution des Huit du Haymarket, entravé les efforts du mouvement ouvrier pour la réduction du temps de travail, justifié le travail des enfants, et qu’ils n’étaient pas près de rallier la cause du syndicalisme industriel révolutionnaire. Ils savaient que la grande majorité du clergé n’avait jamais osé critiquer l’exploitation capitaliste, le lynchage, les brutalités policières ni autres formes de violence de classe, mais ne cessait en revanche d’exiger des travailleurs qu’ils restent doux, obéissants et inorganisés. En deux mots, les fondateurs de l’IWW savaient que les Églises étaient fermement du côté des patrons et de l’État.

Le délégué de l’Arkansas Pat O’Neil, un des délégués les plus étonnants du congrès — il avait participé, entre autres, à l’organisation d’un syndicat de marins à Hong Kong en 1848 —, le formula joliment dans son discours au cours de la séance de ratification de la Constitution du nouveau syndicat : « Quand ils [les prêtres, le clergé] ont commencé à parler et prier pour Son avènement sur terre comme au ciel, nous en avons pris pour dix-neuf siècles de christianisme et de prisons. »

L’IWW, comme tous les véritables mouvements révolutionnaires à travers l’histoire, diffusait sans doute une certaine ferveur « millénariste », et une grande part de sa poésie et de ses discours ont un ton « prophétique » prononcé. En cela, comme en d’autres aspects, les wobblies ressemblent à leurs aînés abolitionnistes : William Lloyd Garrison, Wendell Phillips, Frederick Douglass, Lydia Maria Child, Sojourner Truth, Elijah Lovejoy et John Brown.

Crédits image/jpeg : « Dust » Wallin, iww.org
Démocratie industrielle

Que les fondateurs de l’IWW aient emprunté un peu à la revendication du « paradis sur terre, maintenant ! » des sectes protestantes les plus radicales n’est guère étonnant ni absurde quand on connaît le rôle récurrent et l’importance de ces sectes dans l’histoire primitive des États-Unis. Cet héritage s’est en tout cas révélé aussi puissant que persistant. Et c’est sans doute ce qui a protégé les IWW du rationalisme étroit et inhibant qui donnait à la propagande marxiste sa sécheresse et sa monotonie prosaïques et sans passion. La poésie, le rêve, la vision, l’inspiration et l’imagination reviennent aussi souvent dans les discours wobbly qu’ils se font rares dans le vocabulaire de beaucoup de « marxistes », parce que nombre de wobblies respectaient sans doute autant le « Verbe » et le « Don de l’esprit » que la Raison, la Logique et 2 + 2 = 4.

Le « millénarisme » wobbly, faut-il le rappeler, fut toujours strictement séculier et, bien entendu, ouvertement athée. Comme l’enthousiasme et l’amour, la ferveur millénariste et la prophétie ne sont pas la propriété privée des religieux. La tonalité prophétique de l’IWW est en outre plus proche de celle d’un William Blake que d’un quelconque sermonneur de chaire :

Chaque homme honnête est un prophète ; il profère son opinion sur des sujets privés autant que publics. Ainsi : si vous faites telle chose, telle chose en résultera. Il ne dit jamais : telle chose arrivera quoi que vous fassiez. Un prophète est un voyant, pas un dictateur arbitraire.
[Annotations to An Apology for the Bible, by R. Watson, 1797]

Il ne s’agit pas non plus d’exagérer le fait que les origines de l’IWW puissent s’étendre jusqu’à la Réforme et même avant — au christianisme primitif et aux hérésies chrétiennes (ou supposées telles, du moins). Ses racines les plus fortes et profondes se trouvent dans les transformations sociales et industrielles de la fin du XIXe siècle et du début du XXe, chez les Knights of Labor, les anarchistes du Haymarket et les propres expériences de lutte des classes de ses membres fondateurs. L’influence spécifiquement religieuse s’avère marginale, même sur les sujets les plus négligeables. Pour chaque soapboxer wobbly ayant appris à prendre la parole en public dans une église, une bonne douzaine d’autres s’y étaient sans doute exercés en tant que colporteurs ou bonimenteurs lors de carnavals ou dans des cirques.

Les critiques qui, comme Wallace Stegner, ont présenté l’IWW comme une « Église militante », ou comme Melvyn Dubofsky, qui prétendait que les IWW considéraient la grève générale avec « la même foi extatique et le même fanatisme que l’attente de la Parousie parmi les chrétiens évangélistes », nous avouent autant leur ignorance que leurs partis pris. Certains wobblies ont pu individuellement apprendre énormément de l’histoire des religions, mais la religion en elle-même était laissée de côté. Si quelques-uns la considéraient comme une forme de naïveté enfantine, beaucoup plus la reconnaissaient pour ce qu’elle était et demeure : une institution fondamentalement autoritaire au service inébranlable de la classe exploitante.

Cependant, contrairement à beaucoup d’athées, libres penseurs et groupes anarchistes, l’IWW n’a jamais fait de la propagande anticléricale une priorité. Les statuts du syndicat refusent explicitement l’exclusion pour des raisons de croyance religieuse et l’IWW fut particulièrement efficace dans l’organisation de travailleurs croyants. Solidarity souligne ainsi en 1914 que le Grand Syndicat unique rassemble « des adeptes du charpentier de Nazareth, [...] des adeptes de Mahomet et [...] de Confucius ». Les orateurs et les publications du syndicat développaient constamment deux points principaux : 1) la lutte ouvrière contre le capital est la question centrale, et 2) la solidarité par le syndicalisme industriel est la seule voie du succès pour les travailleurs. La religion en tant que telle n’était pas un sujet majeur d’intérêt dans le syndicat. Aussi longtemps que ses membres suivaient les principes du syndicat, peu importait qu’ils soient ou non athées, mazdéens ou quoi que ce soit d’autre.

Ce qui importait réellement, par contre, c’est que nombre de religieux grassement rémunérés, loyaux à ce que les wobblies appelaient la « classe des maîtres », ne cessaient de dénoncer le syndicat comme antichrétien, sans Dieu et comme le Mal incarné. Beaucoup d’« hommes de Dieu » étaient difficiles à distinguer des malfrats briseurs de grève ou du Ku Klux Klan. Billy Sunday, un des évangélistes américains les plus médiatisés des années 1910, aurait dit : « Si je devais m’occuper de ces socialistes et IWW sans foi ni loi, je les passerais devant un peloton d’exécution » [R. Chaplin, Wobbly: The Rough-and-Tumble Story of an American Radical, 1948, p. 302]. Le but d’une telle sortie n’était évidemment pas de susciter la foi chez ses ouailles, mais de les dissuader de rejoindre le syndicat ou de remettre en question leurs conditions de travail. Chaque fois que ces prêtres à gages anti-IWW reprenaient une de leurs innombrables « croisades », secondés en général par les porte-flingues d’une « association d’employeurs » quelconque, les wobblies répliquaient immédiatement et vigoureusement, tout en soulignant que leur domaine était le syndicalisme, pas la religion.

Pendant la fameuse grève de Lawrence, par exemple, les patrons, les politiciens et le clergé associés sous la bannière de « Dieu et la Patrie » attisèrent les sentiments religieux et patriotiques contre le syndicat. Les IWW répondirent dans une brochure écrite par Carlo Tresca :

Les maîtres et leurs laquais condamnent l’IWW au nom de Dieu et de la patrie. Ces questions n’ont rien à voir avec l’IWW. Nous n’avons jamais fait de la religion un problème dans notre syndicat. [...] Nous sommes unis pour arracher à nos maîtres une vie meilleure, plus de pain. Pour leur arracher ces améliorations économiques, nous devons tous nous unir, soutenir le syndicat et nous entraider comme des frères. La religion n’a rien à faire là-dedans.
[Justus Ebert, The Trial of a New Society, 1913, p. 159]

À de très rares exceptions près, la critique wobbly de la religion n’est jamais entrée dans des discussions de détail théologique, exégétique ou herméneutique. Elle s’attachait en revanche à dénoncer la politique réactionnaire et antiouvrière des Églises aussi bien que l’hypocrisie, la malhonnêteté et l’avidité du clergé. Les forces de « la loi et l’ordre » capitaliste jugèrent cependant cette critique plus dangereuse que des blasphèmes. Quand le soapboxer IWW Art Boose, le « vieux cheval de guerre », déclara que « les bonimenteurs chrétiens vendent du Jésus-Christ sans ordonnance comme d’autres du sucre », les flics le coffrèrent pour « profanation » [S. Holbrook, « The Last of the Wobblies », American Mercury, avril 1946, p. 456].

Les critiques wobbly de la religion savaient bien que la religion en tant que telle tend à être une force conservatrice et inhibitrice, et que l’objectif majeur de l’éducation des travailleurs consiste à les libérer des systèmes de pensée répressifs. Si la fonction de la religion dans une société capitaliste est de « maintenir les travailleurs dans la léthargie mentale et l’esclavage salarié », comme le disait Joseph Ettor à propos de la « Milice du Christ » soutenue par l’AFL, le remède est évident : la prise de conscience [Industrial Unionism: The Road to Freedom, 1913, p. 20].

Ce qui revenait à poser le problème ainsi : comment combattre la religion sans repousser les travailleurs croyants avant qu’ils aient pu comprendre les objectifs de l’IWW ?

Le fait que l’IWW ait formé en quelque sorte deux groupes en un — non seulement le Grand Syndicat unique, réunissant par définition tous les esclaves salariés, sans considération d’affiliation politique ni religieuse, mais également une organisation révolutionnaire ou, pour être plus juste, une organisation de révolutionnaires — posait d’innombrables problèmes tactiques, qui pouvaient parfois l’engager dans des impasses. Peut-être cela explique-t-il pourquoi la question religieuse, généralement écartée des discussions des congrès annuels, de la presse du syndicat, voire du General Organizational Bulletin interne, réapparaissait néanmoins, à l’occasion, sous une forme ou sous une autre. Au niveau pratique, le sujet était laissé à la discrétion des éditeurs, orateurs et pamphlétaires du syndicat. Dans l’IWW, syndicat de lecteurs et d’écrivains, cette ouverture et cet aspect informel laissaient à la discussion l’occasion de rebondir de façon intempestive.

Pendant les congrès du syndicat, par exemple, la religion — bien que plus ou moins reconnue comme une « affaire privée » et jamais inscrite à l’ordre du jour — pouvait malgré tout se glisser dans les débats. Dans son rapport de clôture du congrès de 1914, Big Bill Haywood relève ainsi avec fierté que les adhérents IWW « sont remarquablement libres de toute superstition religieuse » [R. Chaplin, Wobbly: The Rough-and-Tumble Story of an American Radical, 1948, p. 167].

Et si l’Industrial Worker et les autres publications du syndicat refusaient les articles dénigrant les croyances religieuses (comme ils rejetaient les articles qui les défendaient), ils publièrent des papiers démontrant la nature répressive des institutions religieuses et dénonçaient régulièrement l’hypocrisie et autres méfaits du clergé capitaliste. Il y avait toujours place pour une controverse ouverte sur le sujet, comme dans cette contribution de George N. Falconer, qui fut l’un des intervenants lors des funérailles de Joe Hill à Salt Lake City :

La religion n’est pas plus une affaire privée que la politique. Si elle est un bien, il n’y a aucun danger à en discuter ou la critiquer. Si elle entrave le progrès moral ou mental ou tend à empêcher la marche de l’évolution, elle doit être effacée comme toute autre vieillerie inutile. [...] Le pire des crimes d’aujourd’hui, c’est l’hypocrisie béate de l’aveuglement.
[Industrial Worker, 3 février 1917, p. 3]

Les opinions IWW sur la religion sont loin d’être unanimes. On ne sait combien d’adhérents se rendaient à l’église, mais leur nombre est sans doute supérieur à ce que peut laisser supposer la presse wobbly. Il serait également intéressant de savoir combien de temps ces adhérents restèrent au syndicat. En outre, dans certaines circonstances exceptionnelles, des alliances tactiques pouvaient toujours être passées avec des religieux ou des associations religieuses. Lorsque le syndicat entama sa grande campagne d’organisation des dockers à Philadelphie, en 1913, il se heurta à l’opposition combinée des patrons, de l’AFL, du Parti socialiste, des autorités locales et du crime organisé. Le seul soutien institutionnel du syndicat fut l’Église épiscopale méthodiste africaine, dont le représentant observa : « Au moins, l’IWW protège l’homme de couleur, je ne peux pas en dire autant des lois de ce pays. » Malheureusement, les documents qui permettraient d’en savoir plus à ce sujet ont été saisis et détruits depuis longtemps par le gouvernement américain.

Si quelques wobs étaient radicalement antireligieux, d’autres préféraient éviter le sujet et d’autres encore mettaient un point d’honneur à faire remarquer que l’IWW accueillait des travailleurs de toutes les croyances. Bien qu’il ne fréquentât lui-même aucune église et qu’il ne fût pas même « croyant », Fred Thompson était très critique envers les athées les plus agressifs du syndicat, suivi en cela par quelques autres wobs, dont le bûcheron Pete Johnson, Suédois d’origine, qui rejoignit le syndicat en 1919 et vécut la majeure partie de sa longue vie en Idaho. Au cours d’un entretien mené dans les années 1970, alors qu’il avait plus de quatre-vingts ans, il déclara ce qui suit :

Comme la plupart des wobblies, je n’aimais pas trop la religion et les prêtres. Beaucoup semblaient être du côté des patrons. Mais je ne me suis jamais moqué de la religion de quiconque.
[Bert Russell, Swiftwater People, 1979, p. 275]

Sam Dolgoff, se rappelant une discussion autour des sympathisants religieux du syndicat, à New York en 1930, citait Ben Fletcher répliquant :

Qu’est-ce que ça peut bien te faire à toi, bon sang, qu’ils aillent à l’église, s’ils virent les jaunes après la messe et s’ils pratiquent la solidarité au travail ? Ne t’en mêle pas. Laisse-les apprendre par eux-mêmes.
[S. Dolgoff, Fragments: A Memoir, 1986, p. 133]

Bien que les opinions fussent très variées, la balance penchait toutefois largement du côté anticlérical. Les bibliothèques des sections syndicales IWW, comme celle du Work People’s College de Duluth, comprenaient une grande sélection d’ouvrages d’athées, de libres penseurs et d’anticléricaux notoires comme Tom Paine, Shelley, Clarence Darrow, Marx, Paul Lafargue, Robert Ingersoll, Friedrich Nietzsche, Bakounine, Voltairine de Cleyre et Emma Goldman. Le Profits of Religion d’Upton Sinclair était un des ouvrages favoris des soapboxers de l’IWW, comme beaucoup de brochures de l’ancien évêque William Montgomery Brown — appelé « Bad Bishop Brown » —, dont le credo était : « Bannissez les dieux du ciel et les capitalistes de la terre ». En revanche, on ne trouvait pas d’ouvrages religieux, même les livres de religieux radicaux comme William Ellery Channing ou Theodore Parker. Les exemplaires disponibles de la Bible n’étaient pas destinés à une quelconque édification religieuse, mais servaient plutôt aux soapboxers et aux rédacteurs de la presse IWW à retrouver les « citations » utilisées par les religieux antisyndicats.

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Soyez futés ! Lisez la presse IWW.
Le savoir c’est le pouvoir !

Beaucoup de wobblies contribuèrent à des publications athées, humanistes ou anticléricales — facilement disponibles dans les locaux wobbly et les librairies ouvrières — et s’exprimèrent souvent dans des Hobo Colleges et autres forums ouverts.

Des écrits de wobblies se retrouvaient dans des ouvrages lus par un large public. Labor Speaks for Itself on Religion, grande rencontre internationale dont les contributions furent publiées chez Macmillan en 1929, comprend un texte de James P. Thompson, alors responsable national du syndicat et l’une de ses figures les plus connues. Si la médiocrité de la plupart des onze contributions des représentants officiels du mouvement ouvrier aux États-Unis n’est guère surprenante, le recueil contient tout de même d’étonnants essais, aussi audacieux que critiques : ceux de James Maurer, le président socialiste de la Pennsylvania State Federation of Labor, de A. Philip Randolph de la Brotherhood of Sleeping Car Porters et de A. J. Muste du Brookwood Labor College. La courte contribution de Thompson apparaît cependant, et de loin, comme la plus puissante et radicale. Intitulée « La religion est la négation de la vérité », elle se conclut par un vibrant défi au « vieil ordre », « hanté par le fantôme » du capital :

Vous demandez ce que nous, dans la classe ouvrière, nous pensons de vous ? Nous sommes horrifiés — horrifiés par la pauvreté, la misère et l’esclavage dans le monde, horrifiés par vous et vos dieux sauvages — et nous sommes déterminés à vous déloger tous de vos trônes. Et quand vous serez partis, la vérité aura sa chance, et la paix et l’amour viendront bénir la race humaine.
[J. P. Thompson, in Jerome Davis, Labor Speaks for Itself on Religion: A Symposium, p. 61]

Ce n’est pas sans raison que Jim Thompson fut surnommé le « Isaïe mécréant du prolétariat américain », et tous ceux qui eurent la chance de l’entendre n’ont jamais oublié sa voix. Malheureusement, son éloquence ardente, à l’instar des articles de l’Industrial Worker et des brochures des bibliothèques IWW, n’atteignait que relativement peu de travailleurs. Mais tous ceux qui s’investissaient dans la cause éducatrice IWW connaissaient d’autres moyens de « faire passer le mot », des moyens permettant d’atteindre les travailleurs qui n’avaient pas de temps à consacrer aux livres ou aux conférences. Les attaques wobbly contre ce que « Dublin Dan » Liston appelait les « foutaises religieuses » adoptèrent ainsi les armes IWW caractéristiques de l’humour, de la poésie et de la chanson : les armes de Joe Hill.

Hill joua lui-même un rôle déterminant dans ce développement. Cet emploi lui allait comme un gant. Son mépris pour l’institution religieuse est évident lorsqu’il utilise dans ses paroles et ses textes des expressions telles que « pilotes du ciel », « prêtres aux cheveux longs », « saints escrocs » ou « curés maboules ». Prisonnier politique, il fit clairement savoir qu’il n’avait que faire d’ouvrages religieux en prison, de leur « élévation spirituelle et [leur] nourriture pour les anges ». « Je préfère relire des vieilles lettres plutôt que de perdre mon temps avec ça » [Letters, p. 56].

Sa première chanson publiée dans le Little Red Song Book, The Preacher and the Slave, en 1911, devint immédiatement très populaire et fut très vite reprise à travers tout le pays. Souvent appelée Long-Haired Preachers ou Pie in the Sky, il s’agit sans doute de la chanson anticléricale la plus connue de l’histoire des États-Unis. Parodie du cantique In the Sweet Bye and Bye, elle s’attaquait directement à l’Armée du salut (ou l’Armée de la Famine [Salvation Army/Starvation Army], comme disaient les wobblies), mais visait aussi tous les parasites de la chaire qui prêchent aux travailleurs une soumission abjecte et les exhortent à attendre leur dû au paradis.

On pourrait écrire un livre fabuleux sur la diffusion et l’influence de cette seule chanson. Ses paroles — reproduites intégralement ou partiellement dans d’innombrables recueils — apparaissent aussi dans de nombreux romans et autobiographies. Horace Cayton — coauteur avec St Clair Drake de Black Metropolis, étude sociologique de référence sur les Afro-Américains de Chicago — consacre une page entière de son autobiographie, Long Old Road, à sa découverte de la chanson. À dix-sept ans, Cayton se retrouva avec des wobblies sur le chantier d’une route à Yakima, dans l’État du Washington, pendant la Première Guerre mondiale, et rencontra un IWW appelé « Red » qui l’invita à les rejoindre en fin de journée : « Nous chantons autour du feu. » Comme Cayton demanda ce qu’ils chantaient, le wob répondit : « Je vais t’en apprendre une tout de suite. » Et les voilà reprenant en chœur la chanson la plus connue de Joe Hill. « C’est trop fort, s’écria Cayton, je veux les paroles. Ce serait génial de les chanter à l’église. J’aime pas trop les pasteurs. » Et les paroles permirent d’élargir la discussion — sur la religion, la discrimination raciale, la lutte des classes, l’IWW et la révolution. Cayton conclut en disant de ce vieux wobbly, « Red », qu’il « était la première personne qui ait jamais bousculé [ses] certitudes, et ça [l’]avait profondément bouleversé. [...] En un sens, il fut [son] premier véritable professeur. »

La fille de Carl Sandburg, Helga, se souvient dans son Sweet Music: A Book of Family Reminiscences and Song (1963) que toute la famille chantait The Preacher and the Slave dans le Midwest de son enfance, pendant les années 1920-30. La chanson, explique-t-elle, était « d’un auteur de chansons wobbly d’origine suédoise, qui fut arrêté, inculpé et abattu à Salt Lake City, dans l’Utah, en novembre 1915. D’un bout à l’autre du pays, on reprenait sa rengaine. »

Dans son puissant Red Dirt: Growing Up Okie, un ouvrage paru en 1997, Roxanne Dunbar Ortiz rapporte un souvenir d’enfance lié à cette même chanson dans l’Oklahoma des années 1940. Mais elle était ici une pomme de discorde familiale : le père de Dunbar Ortiz, Moyer Pettibone Haywood Dunbar, la chantait pour taquiner et tourmenter sa dévote baptiste de mère.

Le journaliste radical Harvey O’Connor, se rappelant ses jeunes années de convoyeur de bois IWW, cite la première strophe de la chanson dans Revolution in Seattle: A Memoir (1964) et de nouveau dans Harvey and Jessie: A Couple of Radicals (1988), double autobiographie écrite avec sa femme journaliste, Jessie Lloyd O’Connor.

The Preacher and the Slave n’est qu’une des nombreuses chansons de Joe Hill qui brocardent l’autorité religieuse. On retrouve des lignes assassines dans The Tramp, Scissorbill, We Will Sing One Song, John Golden and the Lawrence Strike, et dans There Is a Power in a Union (sur l’air de There Is a Power in the Blood) :

If you’ve had “nuff” of the “blood of the lamb,”
Then join in the grand Industrial Band [2].

Dans d’autres chansons, la critique est moins explicite mais évidente. Par exemple, dans Workers of the World, Awaken! :

Workers of the World, Awaken!
Break your chains, demand your rights!
All the wealth you make is taken
By exploiting parasites.
Shall you kneel in deep submission
From your cradles to your graves?
Is the height of your ambition
To be good and willing slaves? [3]

C’est Joe Hill, plus que tout autre, qui donna à l’athéisme wobbly sa forme la plus durable et populaire. Ses chansons irritaient sans doute les bigots et scandalisaient les tartuffes, mais elles libéraient aussi les esprits, réchauffaient les cœurs et affermissaient partout la résolution des esclaves salariés. À partir du moment où Joe Hill lâcha la bonde, c’est un véritable déluge de vers anticléricaux qui s’abattit sur un monde incrédule. Une grande part de ces poèmes est inévitablement indigente, mais beaucoup d’entre eux représentent le meilleur de la poésie prolétarienne. The Curious Christians de Covington Hall épingle l’hypocrisie des va-t-en-guerre qui se réclament d’une religion d’amour et de charité. Dans l’esprit de Blake, Shelley et Swinburne, c’est un classique wobbly :

For “Jesus Sake” they shoot you dead,
They fill you full of gas and lead;
They starve your body, stunt your soul,
Then pray to God to “make you whole.”
 
They preach “good will” and “peace” and “love,”
The “Golden Rule,” all else above;
They teach Man’s Brotherhood as true,
Then turn their war dogs loose on you [4].

Laura Payne Emerson comparait ses compagnons wobblies à d’autres figures historiques qui défièrent l’autorité religieuse de leur temps :

As it was with Galileo
And all the thinkers of the past,
So with the Industrial Workers,
Tyrants’ shackles hold them fast.
 
How the masters dread you, hate you,
Their uncompromising foe ;
For they see in you a menace,
Threatening soon their overthrow [5].

La fureur lyrique d’Arturo Giovannitti était sans merci :

No holy fire of pentecost can force me on a savior’s love.
I fight alone and win or sink I need no one to make me free.
I want no Jesus Christ to think he could ever died for me [6].

L’avidité et l’hypocrisie des religieux sont des thèmes récurrents du Sour Dough’s Bible d’Agnes Thecla Fair :

Religion and Poverty go hand in hand;
Proofs may be had by the score,
From the woman who sells her body,
To the beggar at your door. [...]
 
The teller who robbed your city bank,
And left his babes in a lurch,
Taking along another’s wife,
Was the fellow who went to church [7].

La fellow worker Fair proposa par ailleurs d’ajouter quelques articles ouvriers aux commandements divins :

Verily, I say unto you, thou shalt not call the police or hire a bloodhound [8].

The Popular Wobbly, de T-Bone Slim (sur l’air de They Go Wild, Simply Wild Over Me), fait résonner une note d’humour délirant :

Even God, he went wild over me.
This I found out as I knelt upon my knee.
Did he hear my humble yell?
No, he told me “go to hell;”
He went wild, simply wild, over me [9].

Avec le même humour noir, Christians at War, de John Kendrick (sur l’air de Onward Christian Soldiers), caricature le soutien des Églises à la guerre et au militarisme :

Onward, Christian soldiers ! Blighting all you meet,
Trampling human freedom under pious feet. [...]
Trust in mock salvation, serve as pirates’ tools;
History will say of you: “That pack of G... d... fools. [10]

Comment se fait-il que tant de commentateurs soient passés à côté d’un tel trésor d’athéisme ouvrier, recueilli dans le Little Red Song Book et les autres publications IWW ?

Les équivalents visuels sont, quant à eux, plus rares. Des dessins qu’il nous reste de Joe Hill, un seul fait référence à la religion, la carte postale le représentant au piano dans une mission de San Pedro. La légende dit : « J’ai une mission à accomplir, vu ? » Le ton satirique est évident, mais on est loin de The Preacher and the Slave.

D’autres dessinateurs IWW se sont cependant attaqués au problème dans leur art — entre autres Ernest Riebe, « Dust » Wallin, Jim Lynch et l’artiste russe juif seulement connu sous le nom de Sam.

Pyramide du capitalisme

« La pyramide du capitalisme », qui reproduit une image issue du mouvement révolutionnaire clandestin de la Russie tsariste, est l’échantillon le plus connu des représentations IWW anticléricales. Un grosse bourse, symbole du capitalisme, est placée au sommet, à l’étage en dessous figurent un roi, un Premier ministre et un président — « Nous vous dirigeons » —, puis le clergé et d’autres religieux — « Nous vous roulons » —, puis des soldats — « Nous vous tirons dessus ». Au premier étage, des bourgeois banquettent : « Nous mangeons pour vous ». Enfin, tout en bas, soutenant l’ensemble, la classe ouvrière : « Nous travaillons pour vous / Nous vous nourrissons tous ». Quelques travailleurs sont écrasés ou épuisés, mais d’autres se révoltent et l’un d’entre eux brandit le drapeau rouge de la révolution ouvrière.

Reproduite en couleur sur la couverture de l’International Socialist Review en octobre 1911, cette représentation saisissante fut pendant des années une des affiches IWW les plus demandées, également vendue à des milliers d’exemplaires sous forme de carte postale lors des manifestations de rue [Nicolas Steelink, Journey into Dreamland, 1970, p. 154]. Elle n’a jamais été dépassée en tant qu’illustration de la façon dont les wobblies voyaient la religion.

Dans toute l’histoire du mouvement ouvrier aux États-Unis, l’IWW est quasiment isolé dans sa courageuse opposition aux religions instituées du capitalisme. Correspondant de l’International Socialist Review au VIIe congrès du syndicat, en 1912, le délégué James P. Cannon rapportait :

Ici sont rassemblés des hommes qui, en tant que tels, rejettent la morale et les prescriptions éthiques de l’ordre existant pour formuler leur propre credo, qui commence par solidarité et finit par liberté.
[ISR, novembre 1912, p. 424]

N’est-il pas remarquable qu’aucun livre consacré à l’histoire du syndicat ne renvoie à l’athéisme dans son index et qu’un seul, History of the Labor Movement in the U.S.: The Industrial Workers of the World, 1905-1917, de Philip Foner, fasse plus qu’évoquer en passant le thème de la religion ? Encore aujourd’hui, même à gauche — peut-être devrais-je dire surtout à gauche —, la critique de la religion reste taboue aux États-Unis.

À deux ou trois exceptions près, les dizaines de vieux wobblies que j’ai eu le plaisir de rencontrer depuis des lustres — et qui avaient adhéré au syndicat dans les années 1910 ou 1920 —, étaient tous d’irrécupérables athées et des ennemis déclarés de toute institution religieuse. Leur athéisme, comme celui de Hill, était pratique et prolétarien — du genre qui arrache sans pitié à la religion ses masques de pouvoir et d’autorité, sape ses dogmes opprimants et rit de son austérité et de sa terreur. Ce que Bill Haywood appela une fois « the idee-logical stuff » (machin idéo-logique) comptait peu dans la lutte des wobblies contre les mystifications misérabilistes des religieux. Leur but n’était absolument pas d’insulter quiconque, ni de heurter les sensibilités, mais plutôt de libérer l’esprit : d’ouvrir aux travailleurs de plus larges horizons.

George N. Falconer releva un jour que « le souci majeur de toute classe dominante est d’empêcher les travailleurs, les esclaves, de réfléchir » [« The Slavery of Words », The Proletarian, septembre 1927, p. 7]. De tels points de vue, récurrents dans la presse IWW, montrent une fois de plus que le style de lutte caractéristique des wobblies reprenait directement, en l’adaptant, la stratégie des abolitionnistes du XIXe siècle. Frederick Douglass, dans son autobiographie classique, My Bondage and my Freedom, remarquait déjà que :

Pour faire un esclave satisfaisant, vous devez en faire un écervelé. Il faut absolument assombrir ses perspectives morales et psychologiques et anéantir autant que possible ses facultés rationnelles. Il ne doit plus être capable de déceler aucune contradiction dans l’esclavage. L’homme qui en tire bénéfice doit être capable de le convaincre qu’il est naturellement en droit de le faire. Nul besoin de la force ; l’esclave doit apprendre qu’il n’y a pas de Loi supérieure à la volonté de son maître. La relation [maître-esclave] ne doit pas viser seulement à démontrer à l’esclave combien elle est nécessaire, mais aussi sa légitimité absolue.
[F. Douglass, op. cit., réédition de 1987, p. 194]

Comme l’avaient compris les wobblies, amener les esclaves salariés à réfléchir et à penser de manière critique est le premier pas révolutionnaire, ce qui leur permet d’élargir leurs perspectives morales et intellectuelles, leur conférant ainsi une plus grande conscience des choses, qui à son tour affermira leur confiance dans leurs capacités à se libérer eux-mêmes et à transformer la société entière. En ce sens, les IWW approuveraient absolument Rosa Luxemburg, pour qui la « tâche immédiate » des révolutionnaires est « la libération spirituelle du prolétariat de la tutelle de la bourgeoisie ». Dans la guérilla des wobblies contre les « pilotes du ciel », leurs armes principales n’étaient jamais la théorie ni la polémique. Ils puisaient plutôt dans l’arsenal rodé du syndicat en jeux de mots, poèmes, paraboles de soapbox, parodies et chansons avant tout. Aucun autre mouvement dans l’histoire des États-Unis n’a autant contribué que les IWW à la « libération spirituelle » du prolétariat.

Chaleureux, énergique, fortement pimenté, drôle, créatif et profondément pénétré de l’esprit de solidarité de classe, l’athéisme wobbly s’oppose point par point à l’athéisme froid, statique, fade, triste, mécanique et étroit du rationalisme de classe moyenne.

De loin en loin, quelques fellow workers s’égaraient et succombaient à la tentation religieuse. Tel fut le triste destin du pauvre Ralph Chaplin qui, à la fin de sa vie, se convertit au catholicisme. Je n’oublierai jamais mon vieil ami O. N. Peterson, assis derrière son bureau cabossé de l’accueil du local wobbly de Yestler Way à Seattle, se rappelant sa consternation et celle d’autres fellow workers lorsqu’ils apprirent que l’auteur de Solidarity Forever avait perdu l’esprit et « était entré en religion ».

De telles capitulations étaient relativement rares. Ceux qui avaient suivi l’IWW pendant des décennies le suivaient en général jusqu’au bout. Le vieil ami de Joe Hill, Alexander MacKay, écrivit ce qui suit dans une lettre à Upton Sinclair datée du 25 juillet 1953 :

Depuis soixante ans que je me suis tiré de cette Presbyterian Sunday School (école presbytérienne du dimanche) en Écosse, je n’ai pas trouvé le moindre argument susceptible de contredire cette phrase de Marx : « La religion est l’opium du peuple. »

Dans une autre lettre — adressée celle-ci à un compagnon écossais, John Keracher, dont la brochure éditée par Charles H. Kerr, How the Gods Were Made (Comment les dieux furent créés), était connue de beaucoup de wobblies —, le fellow worker MacKay attestait que la lutte contre la religion faisait fondamentalement partie du programme IWW de militantisme, d’éducation et d’organisation :

Peu de gens réalisent que toutes les religions instituées ont leurs racines dans le système d’exploitation actuel. Si seulement on pouvait leur en faire prendre conscience, ce serait un vrai coup dur pour le capitalisme.
[31 août 1957]


Notes

[1Il n’y a pas de consensus chez les historiens et autres chercheurs sur les rapports du syndicat à la religion. Pour des points de vue différents du mien, voir Oscar Arnal, « A New Society in the Shell of the Old : The Millenarianism of the Wobblies » (Sciences religieuses/Studies in religion 8/1, 1979, p. 67-87), et Donald E. Winters Jr., The Soul of the Wobblies, Greenwood Press, Westport, 1985.

[2Si tu es dégoûté du « sang de l’agneau », / Alors rejoins le Grand Orchestre industriel.

[3Travailleurs du monde entier, debout ! / Brisez vos chaînes, réclamez vos droits ! / Tous les biens que vous produisez sont pris / Par des parasites exploiteurs. / Resterez-vous agenouillés dans la soumission / Du berceau à la tombe ? / Est-ce le comble de vos ambitions, / Rester de bons esclaves volontaires ?

[4Ils te descendent « pour l’amour de Dieu », / Ils te gavent de gaz et de plomb ; / Ils t’affament, obscurcissent ton esprit, / Puis ils prient pour ta « Rédemption ». / Ils prêchent la « bonne volonté », la « paix » et « l’amour », / La « Règle d’Or », par-dessus tout / Ils enseignent la fraternité humaine, / Puis lâchent leurs chiens sur toi.

[5Comme pour Galilée / Et tous les penseurs par le passé, / Ainsi des travailleurs industriels, / Les tyrans ont tôt fait de les enchaîner. / Comme les maîtres vous redoutent et vous haïssent, / Vous, leurs ennemis irréductibles ; / Parce qu’ils voient en vous une menace, / Le péril de leur chute imminente.

[6Aucun feu sacré ne me fera croire en l’amour d’un sauveur. / Je lutte seul et gagne ou péris, je n’ai besoin de personne pour me libérer. / Qu’aucun Jésus-Christ ne s’imagine pouvoir mourir pour moi.

[7La Religion et la Misère vont main dans la main ; / Les preuves s’accumulent, / La femme qui vend son corps, / Le mendiant à ta porte. [...] / Celui qui est parti avec la caisse, / Qui abandonna ses enfants, / Pour rejoindre une autre femme, / C’était ce type qui ne ratait pas une messe.

[8En vérité je vous le dis, tu n’appelleras pas la police ni un détective.

[9Même Dieu m’en voulait à mort. / Tout ce que j’ai trouvé, c’est de m’agenouiller. / Comprendrait-il mon humble pénitence ? / Non, répondit-il, « va au diable ». / Il m’en voulait à mort, je vous dis, à mort.

[10En avant, soldats chrétiens ! Frappez sur tout ce qui se trouve sur votre chemin, / Piétinez la liberté humaine de vos pieux talons. / [...] Croyez à votre pseudo-salut, servez d’instruments aux escrocs ; / L’histoire dira de vous : « Quelle sacrée bande de cons ! »