Les amateurs de « sensations » attirés par les derniers rebondissements, remarque le Tribune, sortiront un peu déçus de l’audience du samedi, malgré quelques passes d’armes entre le procureur et Soren Christensen, le nouvel avocat de la défense. Scott et MacDougall sont toujours là — ce dernier n’interviendra cependant pas de la matinée. Joe Hill aurait fait amende honorable et reconnu leur bonne foi après un « examen minutieux […] de tous les documents en leur possession ». Christensen se demande ce qu’il vient faire dans cette galère, n’a pas l’intention de travailler aux mêmes conditions que ses confrères et attend des éclaircissements d’Hilton avant de s’engager définitivement. Il va néanmoins se montrer d’emblée plus incisif que les premiers avocats.
Hanson revenue à la barre affirme avoir reconnu la voix de Joe Hill à la prison peu après son arrestation. Bien que l’homme entrevu courait penché en avant et se tenant la poitrine, elle croit pouvoir l’estimer d’une taille « remarquable » comparable à celle de l’accusé — environ un mètre quatre-vingt. Christensen lui oppose ses déclarations à l’audience préliminaire et conteste surtout la recevabilité de l’identification sonore : Hanson n’a aucune compétence personnelle en la matière et doutait elle-même de la possibilité d’identifier une voix dans les circonstances rapportées. Elle ne donne aucun détail, accent ou élocution particulière, susceptible d’avoir attiré son attention, sinon que la voix était d’une « clarté inhabituelle ». Mais le juge rejette l’objection : les jurés devront tenir compte de ce témoignage.
Nellie Mahan décrit ensuite un des fuyards dans la même posture, affirme l’avoir entendu s’exclamer « je suis touché » — il n’est plus question d’aucun prénom — et déclare qu’il était « grand et mince » comme l’accusé. Christensen met aussi ce témoignage en doute. Il avait auparavant ironisé sur la faculté des témoins à évaluer avec précision la taille d’un homme aperçu furtivement, courant baissé, par une nuit d’hiver après une fusillade. Leatherwood s’indigna de l’attitude « déloyale » de l’avocat, qui le renvoya dans les cordes.
Maria Johanson comparait dans l’après-midi sous le nom de son troisième mari, dont elle est divorcée : Mme Athana Saccoss. Ce relatif anonymat ne garantit pas la discrétion puisque, d’après le Tribune, ses liens anciens avec Joe Hill en font le témoin vedette de la journée. Son comportement ultérieur montrera qu’elle n’accepte pas d’avoir pu être associée à un tel gibier de potence. Johanson déclare que l’accusé n’a pas franchement accepté ni décliné son invitation du jeudi 8 janvier pour le samedi soir suivant. Elle l’aurait également convié le dimanche, mais Joe Hill aurait prétexté pouvoir partir en Californie ce jour là. Ni lui, ni Appelquist qui l’accompagnait alors n’auraient honoré son invitation.
Le témoignage n’est pas si anodin, suggérant un possible alibi, Leatherwood insinuant au contraire que Hill et Appelquist avaient prémédité les assassinats et s’apprêtaient à quitter l’État pour échapper à la justice. Mais la défense se contente de demander, toujours en vain, l’annulation du témoignage considéré sans objet. Johanson étant le dernier témoin disponible de l’accusation pour cette courte journée d’audience, celle-ci s’achève à quatorze heures trente. Leatherwood annonce pouvoir terminer son argumentation au cours de la prochaine séance, le lundi matin, avec les auditions des docteurs McHugh et Bird.
Les événements de la veille, l’irruption de Snow Stephen et d’Hilton dans l’affaire et le soutien formel de l’IWW engageant « l’avocat des syndicats » agitent encore les folliculaires, bousculant un temps les rapports de forces. La presse rapporte l’affluence de sympathisants IWW à l’audience et le Herald Republican reprend une rumeur « bien informée » sur un projet d’évasion. La police aurait pris des dispositions et le shériff du comté se serait plaint de l’entrevue de la veille entre Joe Hill et ses amis. Le Deseret signale la présence, au fond de la salle d’audience, de l’alibi présumé de l’accusé, que le journal désigne sous le nom d’Hilda Olsen.
Dans son long article dominical sur l’affaire, le Tribune concède quant à lui un peu de place à l’IWW, puis s’attarde sur les talents de musicien et de parolier de Joe Hill qui attirèrent l’attention de Snow Stephen. Outre un entretien plutôt insolite avec le poète wobbly sur sa formation musicale, le journal reproduit les textes de deux chansons d’amour achevées juste avant l’arrestation de leur auteur. Il ne manque cependant pas de conclure en soulignant l’importante contribution de Joe Hill à l’infâme petit livret rouge IWW : une trentaine de brûlots révolutionnaires parodiant chansons populaires et hymnes religieux.
Le procès reprend le lundi 22 juin avec les comparutions de McHugh puis de Bird, qui font le récit de leur soirée du 10 janvier. McHugh rapporte à nouveau les explications données par l’accusé à sa blessure par balle et se dit toujours incapable de déterminer la marque ou le calibre du pistolet de Joe Hill. Il l’aurait eu entre les mains, mais n’en vit que la crosse dépassant du holster, qu’il estime cependant ressemblante à celle de l’arme exposée en pièce à conviction — d’après le Tribune, « il fut précédemment démontré que le plus grand des bandits était armé d’un Colt automatique ». Néanmoins, quand la défense lui présente deux armes, un Luger et un Colt dans leur étui, il n’en distingue aucune.
En revanche, Bird déclare désormais reconnaître le Colt 9 mm exhibé seul par l’accusation. Hill affirmera plus tard que celui-ci n’aurait aperçu son arme qu’au moment où il la rangeait dans sa poche. Les deux médecins s’accordent enfin à estimer, sans plus d’explication rapportée, le calibre de la balle ayant blessé l’accusé « supérieur à 7,65 mm », du 9 mm dirait Bird.
Le Tribune brandira après l’audience ce « maillon clé […] forgé par l’État » entre la blessure par balle de l’accusé à la poitrine et celle du « plus grand » des deux fuyards, « établie plus tôt » par l’accusation. Ces deux hommes blessés le même soir n’en feraient qu’un.
Dans l’après-midi témoigne un adjoint au shérif auquel Joe Hill déclara s’être débarrassé de son arme entre le cabinet médical et la maison Eselius. Un journaliste ayant examiné le Colt de Morrison avant l’arrivée de la police à l’épicerie affirme à son tour que le revolver avait récemment servi. Il remit l’arme — qui sera donc passée entre-temps et après Arling entre les mains d’au moins trois autres personnes différentes — à l’inspecteur Cleveland. Marie et Merlin Morrison sont également rapidement entendus sur des points de détail insignifiants puis le procureur clôt le dossier de l’accusation, sous réserve de nouveaux éléments. Les avocats déposent aussitôt une requête de jugement d’acquittement, ordinaire à ce stade de la procédure, au motif de charges insuffisantes à poursuivre l’accusé. Requête aussi « promptement » rejetée par le juge.
Place aux arguments de la défense, bien que personne de ce côté ne semble se faire d’illusions sur l’issue du procès, à l’exception peut-être des premiers avocats de Joe Hill. Ed Rowan a déjà prévenu que les IWW se tiendront à ses côtés jusqu’à sa libération, en passant s’il le fallait par les plus hautes juridictions du pays. Snow Stephen aurait recueilli auprès des IWW de Denver de quoi engager Christensen et Hilton, ce dernier n’étant pourtant pas disponible pour le procès. Dans l’immédiat, les avocats vont s’attaquer au faisceau de présomptions et à l’irrégularité de la procédure.