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Hilda Erickson : lettres à Aubrey Haan, lettre d’Olaf Lindegren au gouverneur Spry, lettres attribuées à Otto Appelquist, articles de presse

Aubrey Haan, alors professeur à l’université d’Hawaii, correspondit à la fin des années 1940 avec l’authentique « inconnue de Salt Lake City » : Hilda Erickson, l’alibi que Joe Hill refusa toujours de donner. Cette correspondance finit dans un carton au fond d’un grenier, pour en être exhumée soixante ans plus tard par William Adler (The Man Who Never Died, Bloomsbury, 2011).

Hilda Erickson révèle dans une lettre du 22 juin 1949 l’origine de la blessure par balle de Joe Hill, le soir des meurtres de John et Arling Morrison : c’est son ami Otto Appelquist qui lui a tiré dessus, jaloux après qu’Hilda ait rompu leurs fiançailles quelques jours plus tôt.

La relation entre Hilda Erickson et Joe Hill fut cependant rapportée dans la presse du début à la fin de l’affaire, en particulier à l’occasion du coup de théâtre de la récusation des avocats. La police la connaissait. Les journaux la présentèrent comme l’alibi probable de Joe Hill. Virginia Snow Stephen, Elizabeth Gurley Flynn ou Ed Rowan, piliers de la campagne pour Joe Hill, ne pouvaient pas l’ignorer.

La liaison avec Appelquist fut quant à elle révélée dans un courrier au gouverneur daté du 28 septembre 1915, par un ami de la famille, Olaf Lindegren. Mais cette lettre restera confidentielle, négligée ou inaperçue jusqu’au livre d’Adler.

La famille Eselius - Erickson subit des pressions policières dès l’arrestation de Joe Hill. Entre autres mesures prises pour renforcer la sécurité autour du gouverneur Spry, une trentaine de Pinkerton furent engagés fin septembre 1915 pour surveiller le Comité de défense IWW.

Hilda Erickson
Au centre, bonnet noir à pois et liseré blancs

Hilda Erickson à Aubrey Haan
Lettre du 22 juin 1949

Je devais me marier avec Otto. Tous les voisins le savaient parce que mon petit frère August leur en avait parlé. Une semaine avant que Joe soit blessé, j’ai annoncé à Otto que j’avais changé d’avis, que je ne me marierai avec personne. Il s’est mis très en colère et m’a dit que j’aimais Joe plus que lui. Je lui ai répondu que non. J’avais déjà entendu Joe le taquiner qu’il m’entraînerait loin de lui.

S’il vous plaît, ne vous méprenez pas sur mon compte. Otto et Joe furent de parfaits gentlemen. Ils se comportaient avec moi avec le plus grand respect, ils avaient tellement d’estime pour ma famille.

Joe fut blessé le même soir que l’affaire Morrison. Je suis passé à la maison depuis Salt Lake le lendemain dimanche après-midi. J’ai vu Joe dans le salon de ma grand-mère. Il était allongé sur le vieux lit pliant en fer forgé. Je lui ai demandé ce qu’il se passait. Il m’a répondu « pas grand chose ». Mais je n’étais pas satisfaite de la réponse, alors il m’a finalement dit qu’Otto lui avait tiré dessus dans un accès de colère. Qu’il regretta aussitôt son geste et le conduisit jusqu’au cabinet du docteur McHugh, au carrefour de l’ancienne quatorzième rue et de State street.

Quand j’ai appris ça sur Otto, j’étais très en colère contre lui, je compris qu’il était parti parce que Joe aurait pu mourir. Puis j’ai entendu parler de l’affaire Morrison, j’étais accablée et ne savais plus quoi penser. Je voyais Joe tous les samedis après-midi à la prison de Salt Lake. Je lui parlais en anglais, mais il ne parlait qu’en suédois, à voix basse, me demandant de ne rien dire parce qu’il était innocent dans l’affaire Morrison et l’État ne pourrait pas le condamner.

Lettre du 30 juin 1949

Oui, je me suis moi-même demandé bien des fois pourquoi Otto n’était pas revenu. La seule chose que je pouvais en penser c’est qu’il était mort, parce que je n’ai jamais eu aucune nouvelle de lui. Joe disait qu’il était innocent et je l’ai cru et je le crois encore. Quand on se voyait à la prison, il insistait pour qu’on n’en discute pas. Ils ne m’ont plus laissé le voir quand il l’ont transféré au pénitencier, mais on s’écrivait une fois par semaine, ses lettres étaient enjouées. Je peux affirmer qu’oncle John savait que Joe était innocent parce qu’il était au courant de ce que Joe m’avait dit. Je sais que je ne peux rien prouver de ce que j’avance.


Virginia Snow (Stephen) Filigno à Aubrey Haan,
juin 1949

Virginia Snow Stephen et Hilda Erickson (Salt Lake City, 21 novembre 1915 ?)
Virginia Snow Stephen au centre, coiffée du mortier universitaire,
Hilda Erickson à sa gauche, chemise blanche et collier
Probablement le jour des funérailles de Joe Hill

Ne connaissant pas du tout la personnalité d’Hilda, je peux seulement présumer que votre lettre a pu lui inspirer quelque aventure romantique dont elle serait l’héroïne. Pourtant, je ne doute pas qu’un tel incident ait pu se produire dans cette pension de famille à Murray, mais, alors que tout le monde savait que la vie de Joe était en jeu, n’importe quelle ouvrière ordinaire aurait fait ce qu’elle pouvait pour le sauver, et l’effet qu’aurait eu la révélation de cette histoire est évident.

Je ne peux pas plus m’imaginer Joe Hill égoïste et borné au point de se taire à ce sujet. Et d’ailleurs toute la famille aurait été au courant.

Une idée horrible me vient à l’esprit, sachant que cette histoire aurait bien sûr avantagé la défense, toute cette troupe à Murray a pu subir intimidations et menaces, être paralysée par la peur et contrainte au silence absolu.

[…]

Quelques temps après la fin de cette affaire, Hilda fut accusée de trahison par les gars du Comité de défense, et l’un d’entre eux rompit ses fiançailles avec elle pour cette raison. Je l’appris après mon départ de Salt Lake.

Autre chose qui oriente ma réflexion, un entretien avec Ed Rowan qui me fit prendre pleinement conscience de la pression qu’ils subissaient contre leurs activités de défense, en fait ils étaient absolument terrorisés.


Constantine Filigno à Aubrey Haan
Lettre du 4 février 1950

Dans sa lettre à Virginia, Hilda écrit qu’en se rendant à la maison le dimanche, qui était son jour de congé, elle trouva Joe étendu, blessé, sur le lit de sa grand-mère. Elle lui demanda qui lui avait tiré dessus. Joe répondit qu’Otto (Applequist [sic — coquille sur le nom diffusée par la presse]) lui avait tiré dessus.

Ceci dit, d’après Virginia, quelques temps après l’exécution de Joe, Hilda fut accusée de trahison dans l’affaire Joe Hill et un jeune homme du nom d’Anderson, qui devait se marier avec Hilda, rompit son engagement à cause de cette accusation. Anderson était membre du Comité de défense de Joe Hill et il a dû apprendre qu’Hilda avait fait quelque chose de terrible pour rompre son engagement.

[…]

Pour en revenir à l’affaire Joe Hill, il est assez peu probable que vous ayez pu passer à côté de cette histoire de Joe blessé par Otto Applequist au cours de vos recherches à Salt Lake City.

Reste cette vague hypothèse que le jeune Anderson ait entendu l’histoire de la bouche même d’Hilda et n’aurait pas supporté l’idée que Joe ait pu être sauvé si Hilda avait témoigné au procès. Il n’y aurait plus rien eu d’autre à faire pour lui que de rompre son engagement avec Hilda, l’accuser de trahison et garder l’histoire pour lui seul. Nous savons par Hilda qu’Anderson est mort depuis quelques années. Et nous n’oublions pas le pouvoir exercé par la police et les détectives privés qui a pu contraindre Hilda et sa famille au silence.


Salt Lake Tribune, 15 janvier 1914

La police a appris hier qu’une jeune femme nommée Hilda Erickson, sœur de Robert Erickson et nièce des fils Esilus [sic] est employée en tant que domestique au 1292 [sic — en réalité 1229] East South Temple Street. D’après la police, Hillstrom s’est intéressé à elle et l’a fait demander plusieurs fois.

Robert Erickson était alors en garde à vue, soupçonné de complicité. La police faisait pression sur Betty Eselius, leur mère, pour qu’elle obtienne des aveux de Joe Hill contre la libération de son fils.

Salt Lake Tribune, 20 juin 1914

L’autre femme apparue dans l’affaire hier fut Hilda Erickson, petite amie présumée d’Hillstrom, et qui pourrait être ou non la femme qu’il a déclaré vouloir protéger au prix de sa vie pour un crime qu’il clame n’avoir pas commis.

La femme, aux cheveux blonds et aux yeux bleus, fut autorisée à s’entretenir avec Hillstrom au cours de l’audience du matin, après qu’il ait récusé ses avocats. Il a été dit qu’elle fut en grande partie responsable de leur réconciliation.

Salt Lake Tribune, 29 août 1915

Des demandes répétées de visite pour Hillstrom ont été faites, d’après les autorités de la prison, par Hilda Erickson, membre des Industrial Workers of the World. […] Cette Erickson figure en toutes lettres dans l’enquête sur les activités d’Hillstrom menée immédiatement après son arrestation, le 13 janvier 1914.

Une note retrouvée

Un mot comportant le nom de cette femme fut retrouvé en possession d’Hillstrom au cours d’une fouille à la prison du comté et elle fut interrogée à son domicile à Pleasant Green [sic]. Elle déclara ignorer toute implication d’Hillstrom dans les meurtres de John G. Morrison et de son fils, J. Arling Morrison, pour lesquels Hillstrom doit être exécuté.

Salt Lake Tribune, 20 novembre 1915,
« Une jeune femme reçoit une photo précieuse »

Il s’agit peut-être du seul effet personnel d’Hillstrom, qui décida de son destinataire, une photographie qu’il avait dans sa cellule. Il la légua à Hilda Erickson, une jeune femme qu’il connut à Murray et qu’il vit une dernière fois chez les Eselius à Murray, où il fut arrêté.

Ogden Standard, 22 novembre 1915

Hilda Erickson, qui fut une amie de l’assassin et hérita d’un de ses biens, une photo du fils d’Elizabeth Gurley Flynn, comptait parmi les porteuses de cercueil éplorées.


Lettre d’Olaf Lindegren au gouverneur Spry,
28 septembre 1915

À l’époque des meurtres de Morrison et de son fils, Jos. Hillstrom et son compère Applequist [sic] vivaient avec la famille Eselius à Murray.

Hilda, nièce des Eselius, entretenait alors une liaison avec Applequist et, la veille de noël (avant le crime), la mère me le présenta (Applequist) comme son futur gendre.

[…]

Hillstrom et cette famille étant très bons amis, camarades et compatriotes, il est naturel de supposer qu’Hillstrom ne les aurait mêlés à aucun prix à cette affaire.



Les deux lettres suivantes sont parfois attribuées à Otto Appelquist. Toutes deux envoyées de Buffalo, dans l’État de New-York, cohérentes malgré quelques contradictions, elles ne comportent cependant aucun élément inédit à l’époque ni signe distinctif permettant de les authentifier, à l’exception peut-être, dans la seconde lettre, de la boutade de Joe Hill sur le pistolet emporté en « suvenier ».

Appelquist quitta Murray dans la nuit du 10 au 11 janvier 1914, après une brève discussion avec Joe Hill, et ne donna plus signe de vie.

Lettre pétition au gouverneur Spry
Otto Guosa (Appelquist ?), 10 août 1915

Lettre anonyme à Elizabeth Gurley Flynn,
transmise à Orrin Hilton puis à l’ambassade suédoise courant octobre 1915

January 10, 1914, 10 o’clock p.m., at the home of the Eselius; Joe Hillstrom remembered having an appointment with a woman acquaitance in Murray thereupon Joe Hillstrom left the house alone and walked to the house of said acquaintance and upon arrival He came in contact with a man who is in a great state of excitement and before they recognize each other the other man drew a gun and fired the shot through Joes body and in the struggle that followed Joe Hillstrom rested the gun from the man Whereupon Joe remarked that it would be a suvenier in case He Joe lived through it, and from there he went to Dr McHugh’s office. This is all I can say at present,

Yours truly,

Buffalo, New York

 

Gibbs Smith, Joe Hill, 1969, p. 65