Monsieur,
J’ai pu relever dans votre journal quelques articles discutant le pour et le contre des raisons pour lesquelles j’aurais récusé mes avocats F. B. Scott et E. D. MacDougall. Si vous vous voulez bien m’accorder un peu de temps, je pense pouvoir éclairer la question.
J’avais plusieurs raisons de récuser, ou de tenter de récuser ces avocats. La principale, cependant, reste qu’ils n’ont jamais essayé de contredire les témoins de l’accusation, échouant complètement à exposer les arguments de la défense.
Comme je leur demandai pourquoi ils ne se servaient pas des transcriptions de l’audience préliminaire pour confronter les témoins à leur déclarations précédentes, ils m’affirmèrent piteusement que l’audience préliminaire n’avait rien à voir avec le procès et qu’ils n’avaient pas le droit d’utiliser ces transcriptions.
Je me saisis d’un de ces documents pour tenter d’y jeter un œil, mais M. Scott me le prit des mains, décrétant que « ça aurait un mauvais effet sur le jury ». J’en tirai la conclusion que Scott et MacDougall n’avaient aucune intention de me défendre et je fis ce que n’importe qui d’autre aurait fait : je me levai et leur montrai la porte. Mais, à ma grande surprise, je découvris que le juge avait le pouvoir de m’imposer ces avocats, en dépit de toutes mes protestations.
La seule chose qui compte quoi qu’il en soit est la suivante : je n’ai pas tué Morrison et ne sais rien de cette affaire.
Morrison fut, comme tous les faits le démontrent, victime d’une vengeance et je n’étais pas en ville depuis assez longtemps pour m’y faire des ennemis. Juste avant mon arrestation, je revenais de Park City, où je travaillais à la mine.
Considérant la notoriété de M. Morrison, il fallait un « bouc émissaire » et le soussigné n’étant, pensaient-ils, qu’un vagabond sans attaches, un suédois et, pire que tout, un IWW, il n’avait de toute façon pas le droit de vivre et fut dès lors désigné « bouc émissaire ».
Certains membres du jury, dont son président, n’ont jamais été assignés pour cette affaire. Il y a des vices de procédure, et des parjures implorant pardon au ciel et, d’après les lois de ce pays, j’ai droit à un nouveau procès, et le fait que la Cour suprême me le refuse démontre que la belle formule de l’« égalité devant la loi » est vide de sens à Salt Lake City.
Voici ce que le juge Hilton de Denver, une des plus grandes autorités en la matière, devait dire à ce propos :
La décision de la Cour suprême m’a beaucoup surpris, mais la raison pour laquelle le verdict fut confirmé tient, je pense, à la perversion de la procédure en première instance.
Cette déclaration indique clairement pourquoi la requête pour un nouveau procès fut rejetée et n’a besoin d’aucune explication. En conclusion je voudrais préciser que mes antécédents ne sont pas aussi sombres qu’ils ont pu être dépeints.
En dépit des portraits hideux et de toutes les choses horribles racontées ou imprimées à mon sujet, je n’ai été arrêté qu’une seule fois dans ma vie et c’était à San Pedro, en Californie. À l’époque de la grève des dockers et des débardeurs j’étais secrétaire du comité de grève et j’imagine avoir été un peu trop actif au goût du bourgmestre, qui m’arrêta et m’envoya trente jours à la prison municipale pour « vagabondage » — et voici l’intégralité de mon « casier judiciaire ».
J’ai travaillé dur pour vivre, j’ai payé pour tout ce dont j’avais besoin et mon temps libre je le passe à peindre, à écrire des chansons et à composer de la musique.
Maintenant, si le peuple de l’État de l’Utah veut m’abattre sans me laisser une chance de me défendre, amenez votre peloton d’exécution — je suis prêt.
J’aurai vécu en artiste et je mourrai en artiste.
Respectueusement,
Joseph Hillstrom