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« Pourquoi je réclame un nouveau procès »

Lettre au Comité des grâces, 28 septembre 1915

Le Comité des grâces a rejeté la demande de commutation de la peine le 18 septembre et l’exécution reste fixée au 1er octobre. Mais l’intervention de l’ambassade de Suède provoque une nouvelle réunion d’urgence des membres du Comité le 25 septembre. Divers soutiens de Joe Hill sont alors assignés à comparaître devant eux trois jours plus tard, pour s’expliquer sur ce qu’ils savent de l’affaire et ce qui les a conduit à requérir une ingérence étrangère. La lettre de Joe Hill est transmise à cette occasion par le geôlier du pénitencier, après être passée entre les mains d’un de ses avocats, Soren Christensen.

Le gouverneur Spry, membre du Comité, était censé la rendre publique après en avoir pris connaissance, mais elle ne sortira que le 4 octobre dans le Deseret Evening News, puis le 16 dans l’hebdomadaire IWW Solidarity, dans une version corrigée traduite ici. Comme le notera Philip Foner, sans l’intervention in extremis du président Wilson qui fera suspendre l’exécution, cette lettre n’aurait sans doute jamais été révélée. Elle ne fera l’objet d’aucun commentaire ni démenti des institutions judiciaires ou politiques.

Quelques raisons pour lesquelles je réclame un nouveau procès

Lorsque je suis passé devant les plus hautes autorités de l’État de l’Utah [1], je déclarai ne rien vouloir d’autre qu’un nouveau procès, et je vais maintenant présenter quelques raisons pour lesquelles je prétends à ce privilège. Assuré du fait que mon passé n’a rien à voir dans cette affaire, je ne dirai rien de plus à ce sujet, sinon que j’ai travaillé toute ma vie en tant que mécanicien et parfois en tant que musicien. Le fait que l’accusation n’ait jamais rien pu produire contre ma réputation suffit à montrer qu’elle est irréprochable [2]. Je commencerai donc par la date de mon arrestation.

La nuit du 14 janvier 1914, j’étais alité au domicile des Eselius à Murray, une ville située à 15 kilomètres de Salt Lake City, souffrant d’une blessure par balle à la poitrine. Où et pourquoi je reçus cette balle n’est l’affaire de personne d’autre que moi. Je sais que je n’ai pas été blessé dans le magasin de Morrison et les soi-disant preuves supposées l’établir ne sont que des fabrications pures et simples. Alors que j’étais couché et somnolent, je fus réveillé par des coups sur la porte. Quelqu’un ouvrit et quatre hommes armés entrèrent. Un coup de feu retentit, une balle frôla ma poitrine, m’écorcha l’épaule et pénétra dans ma main droite, me paralysant à vie. Il n’était absolument pas nécessaire de me tirer dessus à ce moment là puisque j’étais plus inoffensif qu’un bébé et n’avais aucune arme. La seule chose qui me sauva la vie fut la maladresse du policier dans le maniement des armes.

Je fus emmené à la prison du comté, on m’indiqua une couchette et je m’endormais aussitôt. Au matin, j’étais plutôt mal en point, blessé par balle en trois endroits, et demandai à être emmené à l’hôpital. Mais je fus isolé dans une cellule individuelle, informé être soupçonné de meurtre et pressé d’avouer immédiatement. Je ne savais rien d’aucun meurtre et c’est ce que je leur dis. Ils insistèrent pour que j’avoue et me dirent qu’ils m’emmèneraient à l’hôpital, qu’ils me « traiteraient bien » si j’avouais. Je leur répétais ne rien savoir d’aucun meurtre. Il me qualifièrent de « menteur » et je refusais dès lors de répondre à leurs questions.

Je m’affaiblissais sans cesse et pendant trois ou quatre jours je balançais entre la vie et la mort. Je me souviens d’un policier entrant dans la cellule pour me dire que selon les déclarations du médecin, je n’en avais plus que pour une heure à vivre. Je pourrais naturellement citer les noms de tous ces policiers, mais qu’il soit bien clair que je ne m’en prendrai à aucun agent, parce que je sais qu’ils ne faisaient que leur devoir, et d’après moi les policiers en charge de la prison du comté n’étaient pas plus mauvais que n’importe où ailleurs [3]. Eh bien ! Je m’en suis finalement tiré parce que je n’étais pas décidé à mourir.

Je choisis d’être mon propre avocat lors de l’audience préliminaire, convaincu que rien ne pourrait être retenu contre moi. Je pensais n’avoir qu’à les laisser faire sans poser aucune question. Quand la session fut ouverte, on me demanda si je m’opposais à ce que les témoins restent dans la salle pendant l’audience, et je répondais que la question de savoir qui devait rester ou non dans la salle était sans objet pour moi. Tous les témoins restèrent à l’intérieur, et je remarquai un flux constant de « messagers » allant et venant des témoins au procureur pendant toute l’audience, chuchotant leurs messages.

Les premiers témoignages furent sans importance, puis vint un homme qui me fit lever et prit note. Il leva la main et jura me reconnaître : il m’avait vu dans la boutique de Morrison l’après-midi même de l’assassinat. Je ne dis rien, mais n’étais pas dupe. Cet homme était grand, avec un fin visage pâle, les cheveux et les yeux noirs et une très remarquable petite moustache luisante. Je ne connais pas son nom et suis incapable de m’en rappeler mais veuillez vous souvenir de cette personne.

Le fils cadet de Morrison, Merlin, fut le deuxième témoin à attirer mon attention. Il faisait partie des premières personnes qui vinrent me voir le lendemain de mon arrestation. C’est un enfant, il parla sans détour en ma présence, et voici ce qu’il dit : « Non, ce n’est pas lui du tout. Ceux que j’ai vu étaient plus petits et plus forts. » Lorsqu’il témoigna à l’audience préliminaire, je lui demandai s’il avait bien déclaré cela, mais il le nia. J’étais cependant tombé par hasard sur la description du bandit dans un journal, et celle-ci indiquait un mètre quatre-vingt et environ soixante-dix kilos. Cette description cadre assez bien avec ce que disait Merlin Morrison : « ceux que j’ai vu étaient plus petits et plus forts ». Je mesure moi-même un mètre quatre-vingt-deux et suis plus maigre.

Le témoin important suivant fut madame Phoebey Seeley. Elle déclara avoir croisé deux hommes dans une contre-allée voisine du magasin de Morrison, alors qu’elle rentrait chez elle depuis le théâtre Empress avec son mari. Un des deux hommes était « de petite corpulence et avait les cheveux clairs et ébouriffés ». Cette description ne convenait pas au procureur, qui l’aida donc un peu en lui suggérant : « vous voulez dire, une couleur de cheveux comme ceux de monsieur Hillstrom, n’est-ce pas ? » Après l’avoir dirigée en ce sens un certain temps, il posa la question : « Diriez-vous que l’apparence générale de M. Hillstrom correspond à celle de l’homme que vous avez vu ? » Elle répondit : « Non, je ne le ferais pas, je ne peux pas dire ça. »

Cette même personne serait l’un des témoins clés du procès à suivre. Elle ne me décrira alors pas seulement dans les moindres détails, mais déclarera également au jury que l’homme qu’elle a vu portait des cicatrices sur les deux côtés de son visage, sur son nez et sur son cou. J’ai ce genre de cicatrices sur mon visage [4], et ce fut pratiquement ce témoignage à lui seul qui me condamna.

Considérez bien ceci : une femme ignorant tout du crime en cours croise un homme dans une ruelle, une fin de soirée d’hiver, et six mois plus tard elle sera capable de décrire cet homme jusqu’au moindre détail, chapeau, coupe et couleur des vêtements, taille et poids, couleur des yeux et des cheveux, et nombreuses petites cicatrices. Mais quand on lui demanda : « Diriez-vous que l’apparence générale de M. Hillstrom correspond à celle de l’homme que vous avez vu ? », elle répondit : « Non, je ne le ferais pas, je ne peux pas dire ça. »

Son mari qui l’accompagnait ne témoigna jamais. Il est vrai que le procureur posait ses questions de façon à ce qu’elle n’ait qu’à répondre par « oui, monsieur » et « tout à fait monsieur ». Avec un juge et des avocats hostiles, qui se conduisaient tout simplement comme des assistants du procureur, celui-ci se trouvait sur ce que le langage de la rue appellerait un boulevard.

Le témoin suivant fut M. Zeese, inspecteur. Quand j’étais alité au domicile des Eselius, la maîtresse de maison m’avait donné un bandana rouge en guise de mouchoir. Elle déclara au procès avoir plusieurs dizaines de bandanas pour ses frères et ses enfants qui travaillaient dans la fonderie. Après mon arrestation, M. Zeese se rendit chez les Eselius à la recherche d’indices. Il trouva un bandana, et de ses yeux de lynx découvrit sans peine quelques « plis aux coins ». Son intelligence de surhomme en conclut rapidement que ce foulard avait servi à masquer quelque « bandit ». Il s’empressa de rapporter sa merveilleuse découverte au juge. M. Zeese est bien connu à Salt Lake City et tout autre commentaire est inutile [5].

Le témoin suivant à l’audience préliminaire, madame Vera Hanson, déclara avoir vu deux ou trois hommes hors du magasin de Morrison peu de temps après la fusillade. Elle entendit un des hommes s’écrier « Bob », ou « Oh Bob » et estimait que ma voix sonnait comme celle qu’elle entendit dans la rue. Je posai alors à madame Hanson cette question : « Voulez-vous dire que, à partir de ce seul mot “Bob”, vous êtes capable de reconnaître ma voix ? » Je dois ici faire une parenthèse.

A la fin de l’audience préliminaire, je récupérai la retranscription des auditions et la rapportai dans ma cellule. Je réalisais rapidement qu’elle n’était pas fidèle, que tout ce que j’avais dit avait été retranscrit en dépit du bon sens. C’était difficile de le démontrer précisément mais, page 47, je trouvais les questions que j’avais posées à madame Hanson, et la différence était si grossière qu’un enfant l’aurait remarquée. Dans la retranscription, ma question devient : « voulez-vous dire que vous pensez que, à partir de ce seul mot “Oh, Bob, je suis touché”... » (je souligne). Chacun peut constater que la retranscription officielle du tribunal a été faussée dans l’intention évidente de « démontrer » que quelqu’un avait été blessé par balle dans le magasin de Morrison.

Je cherchais ensuite le témoignage d’un homme à la noire moustache lustrée mais ne pus le retrouver nulle part dans la retranscription, en dépit du fait qu’il m’avait formellement identifié pendant l’audience préliminaire. Il n’y a aucun doute que l’éminent sténographe, M. Rollo, également sténo à la Cour suprême des États-Unis, tremblait comme une feuille au moment de lever la main droite et jurer que les retranscriptions étaient « correctes », jusque dans le moindre détail.

Le plus étrange étant qu’on peut lire exactement la même erreur dans une déclaration de la Cour suprême à la presse, d’après mon avocat (je ne suis pas autorisé à lire les journaux). Il est dit que madame Vera Hanson déclara « Oh, Bob, je suis touché », ce qui n’est pas exact.

Lorsque je fus blessé par balle [le 10 janvier], j’étais désarmé. J’avais les mains en l’air juste avant que la balle ne m’atteigne. Ce qui explique pourquoi le trou dans ma veste se situe à onze centimètres et demi en dessous de la blessure. Le procureur s’efforça d’expliquer ce fait en présumant que « le bandit a pu lever un bras par surprise quand Arling Morrison se saisit de l’arme de son père [6] ». Il supposa également que le bandit pouvait s’être penché sur le comptoir quand il fut touché. Très bien. Si le bandit « leva un bras par surprise », comme il le suggère, cela aurait soulevé la veste, mais moins de dix centimètres. Et s’il s’était « penché sur le comptoir », la veste n’aurait pas été soulevée du tout.

Le juge McCarty [7], d’accord avec le procureur, ajouta que lever les mains en l’air était un geste compréhensible de la part de l’assassin si Arling était sur le point de lui tirer dessus. Laissez-moi poser une question à M. McCarty. Supposez que vous soupçonniez un cambriolage dans votre maison, que vous puissiez vous munir d’une arme à feu et que vous surpreniez le cambrioleur en flagrant délit. Si le cambrioleur fait le geste de se saisir de son arme, allez-vous lever les mains et attendre qu’il vous tire dessus avant de riposter ? Ou allez-vous tirer le premier, avant qu’il ne puisse sortir son arme ? Pensez-y. Il ne s’agit pas d’une question de procédure, mais de nature humaine. J’aimerai aussi que M. McCarty puisse expliquer comment il est possible de soulever une veste sur dix centimètres de la façon évoquée par le procureur.

Revenons en maintenant à cette balle. Selon le procureur, après qu’elle ait touché le bandit, elle « tomba sur le sol » et disparut. Elle ne laissa aucune trace derrière elle, comme aurait fait n’importe quelle balle ordinaire. Elle a disparu, et c’est tout. Alors, messieurs, je ne sais rien de cette balle, mais je peux vous dire que si je devais m’asseoir et écrire un roman, je devrais certainement trouver quelque chose de plus réaliste que ça, sinon je serais incapable d’en vendre un exemplaire. L’histoire d’une balle qui ricocha d’abord de 10 centimètres dans une veste, perpendiculairement, puis changea de nouveau subitement de trajectoire pour traverser un bandit et finalement disparaître dans la nature, ne sera pas très bien reçue au vingtième siècle. Pensez que les plus grands esprits de l’Utah se sont réunis pour examiner de telles sornettes et en conclure : « Hillstrom a eu un procès juste et impartial. »

J’ai entendu si souvent rabâcher cette affaire que je souhaiterais faire part de ma propre opinion à propos de ces assassinats. Voici mon opinion : deux ou trois truands sont entrés dans l’épicerie de Morrison dans l’intention évidente de le tuer. En entrant, ils crièrent ensemble : « maintenant on te tient », et ouvrirent immédiatement le feu avec des Colt automatiques de calibre 9 mm. Bénéficiant de l’effet de surprise, il est impensable qu’ils aient pu laisser un enfant leur tirer dessus. L’histoire de cette balle disparue, le fait que la transcription officielle ait été faussée dans le but d’établir que quelqu’un avait été touché dans la boutique, tout ceci montre qu’il n’existe aucune preuve que qui que soit ait été atteint par balle à part les deux victimes.

Personne ne vit l’arme de Morrison faire feu. Merlin Morrison courut terrorisé se cacher dans un coin. Bien que face à la mort, il « compta sept coups de feu », ce qui est censé constituer une autre preuve que l’arme de Morrison fut utilisée. Six balles tirées par les bandits furent retrouvées. Mais il devait y avoir une septième balle, sinon il n’y avait rien contre moi. Le garçon « compta sept coups de feu » et cette « preuve » établissait que l’arme de Morrison avait tiré. Toute personne sensée doutera immédiatement qu’un enfant ou n’importe qui d’autre soit capable dans de telles circonstances de « compter les coups de feu » de bandits déchargeant leurs pistolets automatiques.

Des policiers affirmèrent que l’arme venait d’avoir été utilisée mais l’expert de la Western Arm Co anéantit cet argument. Il déclara qu’il était physiquement impossible de déterminer, à aucun niveau de certitude, à quel moment une arme a pu être utilisée, dans le cas d’une poudre sans fumée et en tenant compte de l’odeur toujours présente. Il y a encore cette chambre vide dans le revolver de Morrison. Un policier témoigna qu’il était d’usage dans la police de laisser une chambre vide devant le percuteur. Morrison fut agent de police d’après ce que j’ai entendu dire. Il y a encore cette « flaque de sang » trouvée deux ou trois quartiers plus loin, dont l’accusation fit un océan en dépit du fait que l’expert de l’Utah fut incapable d’affirmer qu’il s’agissait de sang humain. Il ne put qu’établir qu’il s’agissait du sang d’un « mammifère ».

Il y eut enfin mademoiselle Mahan, qui est censée avoir entendu quelqu’un dire « je suis touché ». A l’audience préliminaire, elle n’en était pas du tout convaincue. Elle dit qu’elle pensait avoir entendu quelqu’un dire ces mots mais ne pouvait l’assurer d’aucune manière.

Voilà, tout est là, de ce que j’en sais, et je suis absolument sûr que toutes ces pseudo preuves censées établir que l’arme de Morrison fut utilisée la nuit du 10 janvier 1914 ne passerait pas l’examen à l’acide d’un véritable avocat.

Au moment de mon arrestation, je n’avais pas assez d’argent pour engager un avocat. Pensant qu’il n’y avait rien contre moi et étant toujours prêt à tout tenter, je décidai de le « tenter » seul et d’être mon propre avocat, ce que je fis pour l’audience préliminaire.

Quelques jours après cette audience, un avocat du nom de MacDougall vint me voir à la prison. Il me dit qu’il était de passage, qu’il avait entendu parler de mon affaire et souhaitait s’en charger sans frais. Constatant que cette proposition était en parfaite adéquation avec mon portefeuille, j’acceptais son offre. Je dirais à son propos qu’il était absolument sincère et honnête dans sa démarche et qu’il aurait sans doute mené mon affaire avec succès s’il n’avait été associé à ce misérable vendu de M. Scott. Avant mon procès, je leur signalai que les transcriptions de l’audience préliminaire avaient été falsifiées, mais ils me répondirent que ces enregistrements ne valait plus rien désormais, et qu’il n’y avait rien à gagner à en faire une montagne.

Le procès débuta. Le premier jour fut consacré comme d’habitude à l’examen des jurés. Le deuxième jour se passa quelque chose qui ne me sembla pas régulier. Huit hommes d’un précédent jury entrèrent dans la salle. Ils sortaient de la délibération d’un autre procès pour faire part de leur verdict — de culpabilité. La cour les remercia et les renvoya chez eux, mais le juge Ritchie changea subitement d’avis, rappela trois d’entre eux et les fit s’asseoir parmi les autres jurés examinés pour mon affaire. Je remarquai que ces hommes paraissaient surpris et ne semblaient pas s’attendre à être retenus. J’ai donc de bonnes raisons de penser que ces hommes n’avaient jamais été convoqués pour être jurés dans mon affaire, mais furent arbitrairement choisis par le juge. Un de ces hommes, un très vieil homme du nom de Kimball, fut par la suite désigné président du jury.

Au cours du procès, je fus surpris de constater que les témoignages ne correspondaient plus du tout aux déclarations faites à l’audience préliminaire, et je demandais donc à mes avocats pourquoi ils n’utilisaient pas les transcriptions précédentes pour relever les incohérences. Ils me répondirent alors que l’audience préliminaire n’avait rien à voir avec l’audience en première instance et que ça ne servirait à rien. Ils n’y feraient éventuellement allusion que par bluff.

Après avoir observé ce petit jeu quelques temps, j’en vins à la conclusion qu’il me fallait me débarrasser de ces avocats pour conduire ma défense moi-même ou avec quelqu’un d’autre. Un matin, je commençais par le début et leur montrais la porte. En qualité de défenseur, je pensais naturellement avoir le droit de choisir qui devait me représenter, mais je découvris avec stupeur que le juge pouvait m’imposer ces avocats en dépit de mes protestations. Il décida qu’ils resteraient en tant qu’« amis de la cour » et que ce point était réglé.

M. Scott interrogea le témoin suivant de l’accusation de manière à me montrer qu’il pouvait faire du bon boulot s’il le voulait. Après avoir interrogé ce témoin (madame Seeley), il s’approcha et me demanda « Alors, qu’en pensez-vous ? » Je répondis : « C’est bien. Mais pourquoi vous n’avez pas fait ça avant ? » Embarrassé, il bredouilla puis me dit : « Eh bien c’était le premier témoin de l’accusation que nous avions décidé d’interroger. » Si ça n’est pas un faux-fuyant, je ne sais pas ce que c’est. Notez bien que Madame Seeley était un des témoins les plus importants de l’accusation.

Je dois maintenant dire un mot du pistolet en ma possession lorsque j’étais soigné au cabinet du docteur McHugh. Ce pistolet était un Luger de calibre 7,65 mm, un pistolet de marque allemande. Je l’avais posé sur la table quand le docteur s’occupait de ma blessure et je pensais qu’il saurait me dire ce que cette arme avait de particulier. Il me répondit qu’il ne savait même pas quel genre de pistolet était le mien. Il me donnait un gage de confiance et je ne m’en plains jamais. Contrairement à d’autres témoins de l’accusation, il ne commit aucun parjure et c’est un honnête homme d’après moi. Il y eut un autre médecin, cependant, du nom de Bird, qui passa au cabinet quand le docteur McHugh s’occupait de moi. Il ne vit mon arme qu’au moment où je la rangeai dans ma poche, comme il le déclara en audience préliminaire, mais affirma devant le tribunal que mon pistolet était exactement le même que celui qui tua Morrison et son fils [8].

Comme je l’ai dit précédemment, mon pistolet était un Luger 7,65. Je l’avais acheté un mois plus tôt dans un magasin d’occasion sur la West Temple street, près du dépôt. J’y fus accompagné en voiture par trois policiers et on y trouva la vente enregistrée dans le livre de compte, avec le prix, la date et tout ce que j’avais déclaré. Le livre ne précisait pas de quel genre d’arme il s’agissait. Le propriétaire du magasin était à Chicago à ce moment là et fit savoir par télégramme : « Me souviens vendu Luger cette date. Un problème ? » J’ai acheté ce pistolet le 15 décembre 1913 pour 16 dollars. N’importe qui peut aller le vérifier dans les livres de compte du magasin.

Chacun comprendra que je ne suis pas en position de faire de fausses déclarations : j’ai rappelé les faits, tels que je les connais, en toute simplicité. Je pense être en mesure de convaincre tout homme et toute femme honnête qui lit ces lignes que je n’ai pas eu un procès juste et impartial en dépit de l’opinion contraire de savants juristes. Si vous ne souhaitez pas laisser impunis les parjures et les escrocs, si vous ne voulez pas voir une vie humaine vendue comme une simple marchandise sur le marché, alors tendez-moi la main. Je resterai fidèle à mes principes quoi qu’il arrive. J’aurai un nouveau procès ou mourrai en essayant de l’obtenir.

A vous pour la justice
Joseph Hillstrom


Notes

[1Cour suprême fin mai puis Comité des grâces le 18 septembre.

[2Comme par hasard, une série de « révélations » sur le « passé criminel » de Joe Hill sortira opportunément dans la presse le jour de l’examen du second recours devant le Comité des grâces, le 16 octobre. Informations démenties par la suite par les autorités concernées.

[3Joe Hill allume l’inspecteur Zeese quelques paragraphes plus loin et n’est jamais avare en sarcasmes, mais il semblait bien avoir quelque indulgence pour le petit personnel policier. La victime du crime pour lequel il fut condamné, John Morrison, était un ancien agent en uniforme.

[4Séquelles de la tuberculose cutanée qu’il contracta en Suède à l’adolescence.

[5Zeese est en effet alors poursuivi pour corruption : il couvrait une quinzaine de tripots pour arrondir ses fins de mois.

[6Un des fils de l’épicier, abattu également ce soir là, est présumé avoir riposté et blessé un des assailants.

[7Représentant la Cour suprême de l’Utah au Comité des grâces.

[8McHugh ne semble pas avoir évoqué pendant le procès l’anecdote dont parle Joe Hill mais, contrairement à Bird, il s’est en effet toujours dit incapable d’identifier précisément la marque ou le calibre du pistolet. Les médecins déclarèrent avoir vu l’arme dans son étui tomber de la veste de Joe Hill quand il se rhabillait. Après l’exécution de Joe Hill, McHugh réclamera en vain mais avec insistance la rançon initiale promise pour l’arrestation des assassins des Morrison. Plusieurs dizaines d’années plus tard, alors que l’affaire revenait sur le devant de la scène, il affirmera de manière incohérente que Joe Hill lui aurait avoué les meurtres.

Sources

  • Alexis Buss, Philip S. Foner, The Letters of Joe Hill, Haymarket Books, Chicago, 2015, p. 48-57
  • Gibbs Smith, Joe Hill, Gibbs Smith Publisher, Salt Lake City, 1969, p. 148-150
  • « Writes Board Letter », Deseret Evening News, 28 septembre 1915