Joe Hill quitte San Pedro, son port d’attache californien, à l’été 1913 pour se rendre à Murray, dans la banlieue sud de Salt Lake City en Utah. Il doit y retrouver son ami Otto Appelquist et les frères Ed et John Eselius, partis de leur côté quelques semaines plus tôt. Appelquist partageait depuis un moment la cabane goudronnée de Joe Hill sur le port. Sympathisants IWW rencontrés sur les quais mais originaires de Murray, les frères Eselius avaient quant à eux décidé de retourner en Utah et proposé à Hill et Appelquist de les suivre.
Les wobblies sont tricards à San Pedro depuis la (…)
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Ce samedi soir 10 janvier, autour de dix heures moins le quart, deux hommes masqués de bandanas rouges font irruption dans l’épicerie de John Morrison à Salt Lake City, hurlent « maintenant on te tient ! » et ouvrent le feu sur le propriétaire au pistolet semi-automatique. Arling, dix-sept ans, qui s’est emparé du revolver de son père posé sous le comptoir, est abattu à son tour. Merlin, le cadet, réfugié derrière la porte de la resserre au fond de la boutique, appelle la police après le départ des assaillants, qui n’ont pas touché à la caisse. Arling est déjà mort, l’arme à la main. John (…)
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Pour l’heure dans un état lamentable, Hill reçoit au petit matin la visite de Merlin Morrison, conduit devant sa cellule par un journaliste du Herald-Republican. Le journal prétend que le garçon de treize ans aurait identifié le meurtrier de son père. Pour le Tribune, Merlin ne sera pourtant pas aussi catégorique, évoquant seulement des proportions comparables avec l’homme qu’il vit « entrer le premier dans la boutique et tirer sur [son] père ». Hill affirmera plus tard que le garçon aurait aussitôt déclaré en le voyant : « Non, ce n’est pas lui, ceux que j’ai vu étaient plus petits et (…)
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Le 7 mars, Hill se présente pour la lecture de l’acte d’accusation en compagnie de deux avocats, qu’il n’avait pourtant pas sollicités et qui ne lui ont semble-t-il pas plus été adressés par ses amis ou son syndicat. Ernest D. MacDougall, jeune avocat du Wyoming de passage à Salt Lake, intéressé par l’affaire, lui proposa en effet ses services à titre gracieux dans les jours qui suivirent l’audience préliminaire. Joe Hill accepta l’offre « en parfaite adéquation avec [son] portefeuille », sans plus de considération. MacDougall s’associa par la suite à Frank B. Scott, un avocat local bien (…)
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Le juge a déjà levé la séance en fin de journée quand les avocats de la défense lui font une requête inhabituelle : ils souhaitent sans délais ni motif s’entretenir avec leur client dans une pièce privée du tribunal, plus confidentielle que la cellule de la prison. Frank Scott rapportera plus tard que Joe Hill est alors furieux du comportement de ses avocats avec Merlin Morrison. Hill s’attendait à ce qu’ils « mettent en pièce » ce témoignage. Selon lui, Scott et MacDougall auraient prétendu ne pas avoir le droit de mentionner l’audience préliminaire au cours du procès. Scott invoquera (…)
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Les amateurs de « sensations » attirés par les derniers rebondissements, remarque le Tribune, sortiront un peu déçus de l’audience du samedi, malgré quelques passes d’armes entre le procureur et Soren Christensen, le nouvel avocat de la défense. Scott et MacDougall sont toujours là — ce dernier n’interviendra cependant pas de la matinée. Joe Hill aurait fait amende honorable et reconnu leur bonne foi après un « examen minutieux […] de tous les documents en leur possession ». Christensen se demande ce qu’il vient faire dans cette galère, n’a pas l’intention de travailler aux mêmes (…)
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Frank Scott annonce le lendemain matin les grandes lignes de la défense : « confronter des coïncidences aux coïncidences, des suspicions aux suspicions ». Il serait démontré que d’autres personnes, d’allure semblable à celle de l’accusé, ne sont toujours pas moins suspectes ; que l’accusé ne peut pas avoir été blessé par le revolver de John Morrison, à supposer qu’Arling Morrison ait tiré ; que des pressions ont été exercées pour extorquer à l’accusé l’aveu d’un crime qu’il n’a pas commis ; que des témoins à charge ont modifié leurs déclarations depuis l’audience préliminaire afin de les (…)
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Aucune retranscription officielle ne sera faite des conclusions de l’accusation. Faute de document recevable et sans que cette lacune fasse annuler la procédure, les réquisitoires ne seront pas examinés en appel. D’après les journaux — qui n’entreront pas plus dans les détails mais loueront l’éloquence du procureur — Leatherwood aurait sommairement rappelé les charges dans sa première intervention, insistant sur la coïncidence entre la blessure par balle de Joe Hill et celle, présumée, d’un des assassins.
Aux vains efforts de la défense sur ce point, constatations matérielles et avis (…)
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Jusqu’à présent plutôt timorée, la défense change de ton le lendemain matin. MacDougall finit de rappeler les faits matériels contredisant tout rapport entre la blessure de Joe Hill et les circonstances du crime, puis s’en prend au témoignage le plus compromettant sur la présence présumée de l’accusé près de l’épicerie. Phoebe Seeley n’avait jamais évoqué aucun détail du visage du suspect croisé le soir du crime jusqu’au procès, ni dans sa déposition initiale à la police, ni pendant l’audience préliminaire. Elle a menti le jour de sa comparution au procès, incitée à décrire l’accusé sur (…)
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Christensen fera plusieurs fois reporter l’examen du premier recours, au 25 juillet puis au 24 août, pour finalement épuiser le délais légal. Il ne s’agit que de gagner du temps puisque la requête a peu de chances d’aboutir : c’est le juge Ritchie qui doit s’en occuper. Les avocats auraient ensuite six mois en cas de rejet pour préparer le pourvoi devant la Cour suprême. Après avoir invoqué la mise à disposition tardive des transcriptions, Christensen prétextera vouloir attendre Hilton. Mais il attend surtout certaines garanties.
Le 27 juin, alors qu’il ne pouvait pas encore évoquer le (…)
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Le pourvoi reprend les principaux arguments légaux invoqués au procès et en appel : motifs insuffisants à poursuivre et violations des droits de l’accusé. « Aucune affaire présentée devant cette cour ces dernières années n’est aussi dépourvue des éléments de preuve essentiels et propres à soutenir une condamnation », est-il assené en exergue du dossier. Le juge Ritchie se serait fourvoyé en rejetant les objections appropriées puis la requête d’acquittement formulées par la défense, égarant pour finir les jurés par ses instructions erronées sur la nature d’une chaîne de preuves (…)
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Le juge Straup trafique au moins les témoignages de Merlin Morrison, de McHugh et de Bird et doit cautionner celui de Seeley pour donner un peu de vraisemblance et de liant à la « chaîne de preuves » de l’accusation. La blessure d’un des assaillants dans l’épicerie, sa correspondance avec celle de Joe Hill et la présence de celui-ci près des lieux le soir du crime seraient ainsi établies et pourraient s’articuler schématiquement comme suit.
Merlin ramassa des doigts de son frère Arling l’arme de son père, un revolver de calibre 9 mm duquel auraient été extraites par la suite cinq (…)
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« “Hillstrom doit mourir” dit la Haute Cour », titre le Telegram ; « Hillstrom expiera son crime », se félicite le Herald-Republican dans son article. Les journaux ne se soucient pas de l’interprétation très libre des « preuves » par la Cour ou de sa conception incriminante du droit au silence et se contentent de reproduire les conclusions de Straup : éléments recevables et suffisants à étayer le verdict, procédure équitable et régulière, droits de l’accusé préservés malgré lui par la présence imposée de ses propres avocats. La presse n’évoque plus pour seule suite qu’un recours en grâce (…)
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Les wobblies ne semblent pourtant pas avoir renoncé à porter l’affaire devant la Cour suprême fédérale, malgré les obstacles juridiques et financiers. Dans son édition d’août, l’International Socialist Review relaie l’appel du 17 juillet et un autre d’Haywood, signé en tant que secrétaire général et trésorier du syndicat : « Condamné à mort — agissez vite ! » Ce dernier texte renvoie néanmoins avec insistance vers le Comité des grâces, en tenant compte des observations et réserves d’Hilton :
La classe exploitante de l’Utah est déterminée à ce que Joe Hill soit exécuté. Notre fellow (…)
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Joe Hill s’est donc une nouvelle fois conformé à la « règle de la majorité », comme il avait pu le formuler à Sam Murray le 12 août, non sans gratitude alors, quand les wobblies envisageaient encore, malgré lui, de porter l’affaire à Washington. « Mes avocats m’ont demandé de les laisser s’occuper de tout et c’est plutôt agréable pour moi, d’avoir quelqu’un qui se charge du mouron à ma place », écrit-il même début septembre. Ce qu’il considère comme une affaire personnelle, dont il voulait se « débrouiller seul » mais qui lui a toujours échappé, a pris des proportions inattendues.
Le 4 (…)
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En fin de journée, peu après ce bref accrochage au sujet de Bob Erickson et au terme des discussions sur la campagne de soutien, le gouverneur Spry, président du Comité des grâces, demande au condamné s’il veut prendre la parole, sans qu’il y soit obligé, son silence ne serait pas pris en compte.
Joe Hill s’est laissé entraîner dans un recours dont il ne voulait pas et dont la tournure n’a rien pour lui plaire. Lorsqu’il s’adresse au Comité, il ne dévie pas de sa ligne et prend le contre-pied de ses avocats :
Messieurs, j’ai une petite proposition à vous faire. Si vous m’accordez un (…)
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♦ Du printemps 1913 au 8 janvier 1914 ♦ Du 10 au 28 janvier 1914 — affaire Morrison ♦ Du 7 mars au 8 juillet 1914 — procès ♦ Du 11 juillet 1914 au 28 mai 1915 — pourvoi ♦ Du 3 juillet au 1er septembre 1915 ♦ Cartes, 10-11 janvier 1914 Du printemps 1913 au 8 janvier 1914 Printemps 1913 — Joe Hill, Otto Appelquist et les frères Ed et John Eselius dans la dèche à San Pedro, blacklistés en tant que wobblies. 4 juin — Hill accusé de braquage par la police de San Pedro. Plainte sans fondement, rejetée. 9 juin - 9 juillet — Purge un mois de prison pour vagabondage. 18 juin — Transféré à Los (…)
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